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Comment gagner des luttes pour les salaires : l’exemple d’Eolane à Angers



Ci-dessous nous reproduisons un article paru dans le numéro d’avril de la revue Alternative Libertaire au sujet d’une grève victorieuse pour les salaires dans une boite de la métallurgie d’Angers. L’article cherche à analyser à partir de ce cas concret ce qui peut rendre une lutte victorieuse dans une entreprise.

« La question des salaires reste une des priorités d’un très grand nombre de travailleurs et travailleuses dans le contexte actuel d’inflation. De nombreux conflits continuent à éclater régulièrement. Comme chez Eolane, une entreprise de métallurgie située à Angers, où une grève exemplaire a été menée.

Un peu moins de 200 salarié·es travaillent dans cette usine où l’on fabrique des cartes électroniques. Ce sont majoritairement des femmes, dont la plupart sont payées au Smic depuis les dernières revalorisations de celui-ci.

Dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) de l’entreprise, la section syndicale CGT revendiquait 150 euros d’augmentation par mois pour tout le monde. En réaction aux premières propositions ridicules de la direction (4.5 % d’augmentation, soit 76 euros par mois pour les plus bas salaires) une grève a démarré. Elle a duré quatre jours et demi, et elle a permis aux grévistes d’obtenir 120 euros d’augmentation ainsi que le paiement de deux jours de grève. Ce qui fut une première victoire importante pour les grévistes. Pourtant rien n’était écrit d’avance, toutes les grèves pour les salaires ne sont pas victorieuses, d’où l’importance d’étudier de plus près quatre ingrédients qui peuvent rendre les victoires possibles.

Des revendications qui rassemblent

Bien sûr, avant toute chose, il faut des revendications qui tiennent la route, des revendications à la fois ambitieuses, et qui paraissent atteignables.

En matière salariale, il est important de demander des augmentations générales des salaires de base, et de refuser ce que les patrons préfèrent souvent nous proposer, à savoir des augmentations individuelles (données à la tête du client) et des primes (non soumises à cotisations sociales, non prises en compte pour le calcul des droits).

Il est aussi préférable de demander un montant d’augmentation uniforme (par exemple chez Eolane  : 150 euros pour tout le monde) plutôt qu’un pourcentage qui favorise les plus gros salaires. Enfin, une dernière revendication qu’il peut être opportun de porter dans chaque lutte salariale est la signature d’une clause de revoyure pour réduire le délai avant les prochaines augmentations. Dans le contexte actuel c’est important car les augmentations que nous obtenons peuvent être rattrapées par l’inflation en seulement quelques mois.

L’autogestion et la démocratie ouvrière

Cela va de soi, mais une grève est efficace avant tout par la participation d’une très large majorité des salarié·es, ce qui permet de réellement bloquer ou ralentir considérablement la production. Ensuite, il faut que celle-ci soit dirigée par les grévistes.

La grève d’Eolane était suivie par la presque totalité du personnel ouvrier et était reconduite tous les jours au vote. Les décisions concernant les réponses à donner aux propositions de la direction, ou concernant les actions à mener étaient votées. Le dernier jour, un comité de grève de six personnes a été élu comprenant des militantes CGT et des non syndiqué·es, et il a été annoncé à la direction qu’elle aurait maintenant à négocier avec ce comité de grève.

Cela a vraiment permis à toutes et tous les grévistes de se sentir actrices et acteurs de la grève, et de mettre en place des actions, notamment le blocage des camions. Cela aura aussi été déterminant pour démoraliser la direction.

Un syndicat solide et de la solidarité

C’était le premier vrai mouvement de grève depuis bien longtemps chez Eolane. La petite équipe de la section CGT était donc peu expérimentée et disposait de peu de moyens, mais il existait de bons liens entre elle et les structures locales de la CGT (le Syndicat des Métaux d’Angers et l’Union locale d’Angers). Elle a donc pu bénéficier du soutien et de l’expérience de celles-ci.

À plusieurs camarades nous nous sommes relayés tout au long du conflit pour essayer d’être au maximum présents, proposer des modalités d’organisation de la grève, donner des avis sur la conduite à tenir au fil des évènements. Nous avons fait marcher nos réseaux et apporté un soutien logistique pour équiper, animer et ravitailler le piquet de grève. Nous avons fait connaître cette grève, ce qui a fait venir des délégations de plusieurs autres boîtes et secteurs en soutien. Nous avons pu obtenir des renseignements sur le niveau des stocks de pièces venant d’Eolane chez ses clients chez lesquels la CGT est aussi implantée pour donner le moral aux grévistes.

C’est dans ces moments que l’on se rend compte de l’importance de dépasser le corporatisme et de construire au quotidien nos structures syndicales, notamment nos syndicats de branche et nos unions locales, et à quel point cela peut être utile pour rendre des luttes victorieuses !

S’affranchir des calendriers imposés par les patrons

Le dernier jour de la grève, celle-ci s’est étendue à l’autre site Eolane du département, situé à Combrée. La dynamique de la grève d’Angers a incité les salarié·es de Combrée à se mettre en grève, alors même que les NAO de leur site étaient terminées. Au final, l’augmentation gagnée grâce à la grève a été étendue à toutes les autres usines françaises du groupe. Cela montre que nous avons tout intérêt à nous affranchir des calendriers de négociation fixés par nos patrons. Même si un accord est signé, même si une loi est votée, on peut encore se mobiliser et gagner  !

Nous pouvons retenir de cette grève que même dans une boîte de petite ou moyenne taille, où la direction rabâche en permanence qu’elle n’a pas d’argent, et dans laquelle il n’existe pas de tradition de lutte, c’est possible  !

Nous pouvons aussi retenir que faire grève une semaine, même avec des petits salaires, c’est un sacrifice possible et qui paye  ! Les ouvrières d’Eolane nous l’ont rappelé  ! Et c’est bien de l’avoir en tête alors que nous entendons en ce moment beaucoup de salarié·es justifier leur non participation aux grèves contre la réforme des retraites par le coût financier que cela représente. Des syndicalistes reprennent même cette justification pour expliquer pourquoi les taux de grévistes ne sont pas plus élevés, mais les vraies raisons sont à chercher ailleurs. »

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