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Portrait de femmes #1 - Zehra Dogan et Helin Bölek



Le portrait d’une femme que l’on fait connaître aujourd’hui, c’est le portrait de millions de femmes que le monde essaye de faire taire chaque jour, en vain. 

Aujourd’hui nous vous proposons de dépeindre les portraits de Zehra Dogan et de Helin Bölek.
Zehra Dogan artiste, journaliste et militante kurde qui à été incarcérée pendant 600 jours, accusée de « propagande pour une organisation terroriste » par les autorités turques.
Helin Bölek chanteuse militante révolutionnaire du Grup Yorum morte le 05 avril 2020 suite à 288 jours de grève de la faim.

Zehra Dogan, « Créer et résister, c’est vivre »

Arrêtée en juillet 2016 puis relâchée 5 mois plus tard, réincarcérée en juin 2017 et libérée le 24 février 2019, elle vit désormais à Londres « en mode nomade ». Elle « travaille et voyage beaucoup », elle n’a pas demandé le statut de réfugié ni l’asile.

L’histoire de Zehra Dogan, dans ses œuvres et dans ses textes comme dans son vécu, met en lumière des millions d’histoires de femmes incarcérées, torturées, qui vivent la révolution et l’injustice au quotidien. Zehra reçoit « en 2015 le prix Metin Göktepe en récompense de son travail sur les femmes yézidies ayant échappé à Daesh, elle a été l’une des premières journalistes à les interviewer ». [N1] C’est une femme qui a tout mis en œuvre pour partager et faire entendre la voix des femmes. En prison elle peint et dépeint, dans sa correspondance avec Naz Öke, les différents portraits de ses camarades de cellule, de tout âge, de tout milieu, avec des enfants grandissant parmi les discussions militantes (les enfants vont avec leur mère en prison s’il n’y a pas d’autres moyens de garde). Avec des mots de sagesse et de courage Zehra se bat jour et nuit, enfermée ou libre, elle crée et se révolte. En prison elle doit peindre et confectionner avec les matériaux qu’elle trouve, souvent confisqués, mais rien ne l’arrête. Ses œuvres sont le reflet de la lutte et de tout ce qu’elle vit, voit, ressent, et écoute. Elle peint avec des restes de nourriture, des ordures que ses amis lui trouvent et le sang de ses règles.

Co-fondatrice d’une agence de presse cent pour cent féminine «  Jin news  » elle développera également, pendant ses années d’incarcération avec d’autres journalistes emprisonnées, un journal d’actualité libre qui retrace en quelques pages la vie et les informations glanées auprès des prisonnières. Özgür Gündem- Zindan (Actualité libre- éditions Geôle) est créé clandestinement et ne peut donc être publié au sein même de la prison, le journal prend donc sa liberté et sera transmis et relayé par des médias extérieurs. La répression de l’administration fut encore plus grande suite à cette action mais, malgré les surveillances plus fortes, un deuxième numéro réussit à paraître et à passer à travers les barreaux. Rien n’arrête ces femmes que l’on essaye d’emmurer et d’etouffer.

« L’émancipation de la société du système patriarcal constitue une matrice pour toutes sortes de luttes contres les inégalités et l’oppression. La lutte des femmes est un défi qui apporte de l’espoir au monde ». Au Rojava (nord de la Syrie), les femmes sont « au-devant de la résistance et de la révolution. C’est la première fois que, dans une région traditionnelle très patriarcale comme le Moyen-Orient, le renouveau est mené par les femmes Kurdes ». [N2]

Helin Bölek, le chant de la révolution

Le dimanche 05 avril nous apprenions la mort de Helin Bölek, chanteuse révolutionnaire du Grup Yorum. Elle tenait une grève de la faim depuis 288 jours pour dénoncer la répression et la censure du régime d’Erdogan. Elle portait la voix des peuples opprimés de Turquie et c’est d’ailleurs par des chants traditionnels ou révolutionnaires que son groupe avait sorti vingt-cinq albums et se produisait dans des concerts pour plusieurs milliers de spectateurs. Leur redoutable force d’opposition et leur engagement politique fit d’eux la cible de la police et de la justice depuis 2014. Ce groupe soutenait et suivait toutes les manifestation en Turquie pour soutenir les minorités et les mouvements sociaux. Même face à la censure ils se sont produits sur les toits , dans les rues, sur des camions,... La grève de la faim était leur dernier recours pour se battre.

Helin Bölek avait passé deux ans dans les geôles de Recep Tayyip Erdogan et en était sortie en 2019, elle était soupçonnée d’entretenir des liens avec le DHKP-C, une organisation marxiste-léniniste qualifiée de « terroriste » par le régime d’Ankara, une affiliation démentie par les musiciens qui ne peuvent plus se produire sur scène depuis cinq ans. Comme de nombreuses personnes militantes, six membres du groupe sont poursuivis pour « appartenance à une organisation terroriste » et les têtes de ceux qui ont quitté le pays sont mises à prix. « En Turquie, il faut être prêt à mourir pour se tenir debout. » exprimait Ibrahim Göçek, un autre membre du groupe, dans une interview du journal l’Humanité. Il était dans son 293e jour de grève de la faim le dimanche 5 Avril 2020.

Partout dans le monde des femmes, des hommes et des enfants sont emprisonné·e·s, torturé·e·s et violé·e·s pour leurs idées ou tout simplement pour avoir seulement voulu exister. Comme la communauté yézidie du Sinjar, dont Zehra Dogan à été la première journaliste à porter leurs paroles et leurs témoignages, qui à été massacrée par les jihadistes du groupe état islamique. Cette minoritée religieuse monothéiste de quelques centaines de milliers de fidèles se bat aujourd’hui pour faire connaître le caractère génocidaire des crimes qu’ils ont subis.

Encore de nombreuses femmes sont enfermées et militent pour leur droit d’exister et se révolte contre les oppressions. Zehra raconte l’histoire des femmes qui font une grève de la faim dans les prisons. Nous vous invitons à en lire d’avantage avec le site KEDISTAN qui « est un web magazine à l’esprit original et libertaire qui traite de l’actu du Moyen-Orient en général, de la Turquie en particulier, des chats, et de culture subméditerranéenne. Et chaque fois pour moitié d’humanité, femmes et hommes. »

[Note 1 : livre : « ZEHRA DOGAN - Nous aurons aussi de beaux jours - écrits de prison, traduits du turc par Naz Öke et Daniel Fleury, parus dans les éditions Des femmes Antoinette Fouque »
[Note 2 : interview de Zehra Dogan par Nicolas Richen journaliste pour « l’âge de faire » n°150/mars 2020]

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