Analyse et Histoire Mouvements sociaux / Résistance

Mais que se passe-t-il en Algérie depuis un an ?



Depuis le début de l’année 2019, l’Algérie connait un mouvement social sans précédent. Rapide retour sur 10 mois de lutte et explication de la situation actuelle.

Depuis 1999 et son arrivée au pouvoir, le régime du "président" Abdelaziz Bouteflika avait pris des allures de dictature. Réélu tous les cinq ans dés le premier tour avec à chaque fois plus de 80% des vois, il s’était également auto proclamé ministre de la défense (depuis 2003) ainsi que président d’honneur du FLN depuis 2005. Un grave AVC courant 2013 l’ayant laissé plus ou moins inapte à gouverner, l’opposition assure que c’est son "clan" qui dirigeait le pays depuis six ans. Le 2 février dernier, il officialise sa candidature aux élections présidentielles prévues le 18 avril. C’en est trop pour une population algérienne excédée par 20 ans de corruption et de mascarade démocratique.

Dés le 16 février, les premières manifestations ont lieu à Kherrata en Kabylie. Le 22, annoncé comme un jour de protestation nationale est la date où le mouvement a réellement commencé. Des manifestations monstrueuses et pacifiques ont lieu dans tout le pays, on dénombre 800000 manifestants à Alger seule. Toutes les couches de la société y prennent part, notamment les femmes qui pour la première fois se permettent de sortir dans la rue et même de prendre le devant des cortèges. Les stades de foot du pays résonnent ensemble au son de "Bouteflika dehors", le "Hirak" (nom du mouvement populaire) est lancé.

Le 8 mars, date de la journée des droits de la femme, c’est à nouveau une marée humaine qui descend dans les rues du pays. Le 11, devant la vindicte populaire Bouteflika annonce le report des élections. Le 2 avril, pressé par l’armée il démissionne de sa fonction de président. Le Hirak a gagné une première bataille hautement symbolique, mais le plus dure reste à faire. En effet, le pouvoir officiellement confié à Abdelkader Bensalah pour assurer l’intérim semble glisser vers l’armée. Le chef d’état major, Ahmed Gaïd Salah prend de plus en plus de place sur la scène politique. Celui qui était déjà soupçonné de tirer les ficelles derrière le président malade semble assumer une place qui ne devrait pas être la sienne. Il s’agit en réalité de celle de l’armée depuis l’arrivé au pouvoir de Bouteflika en 1999.

Malgré cela, la corruption entre état et secteur privé semble avoir pris un coup dur : 5 milliardaires proches de l’ancien président/dictateur sont arrêtés le 22 avril pour fraudes, corruption, etc...

Et chaque vendredi, les algériens continuent inlassablement de battre le pavé pour exiger un réel changement de régime. Les manifestations sont toujours aussi massives, et les slogans pour une liberté politique fleurissent avec toujours plus de détermination.

Le 19 juin, Gaïd Salah interdit le drapeau Amazigh dans les manifestations. Cette manœuvre, destinée à diviser les algériens en jouant sur de vieilles animosités (le drapeau Amazigh est l’emblème du peuple Berbère) est doublée d’une augmentation du niveau de répression policière. De nombreux opposant sont arrêtés, souvent de façons sommaire. Il s’agit la plupart du temps de personnalités émergents du mouvement et pour certaines pressenties pour une future candidature. Par exemple, plusieurs cadre du RAJ (rassemblement algérien de la jeunesse), association nationale fortement impliqué dans la contestation sont emprisonnés.

Car la nouvelle élection est alors prévue le 4 juillet, mais la détermination et l’endurance des manifestants oblige le conseil constitutionnel à la reporter à nouveau, cette fois sans date fixe. Courant septembre, c’est l’armée part la voie de son chef d’état major qui fixe arbitrairement la date du 12 décembre.

Entre septembre et la nouvelle élection, le mouvement continue, chaque vendredi montrant la forte volonté de ne rien lâcher de la part des manifestants. Les campagnes électorales et les candidatures confirment que le "régime Bouteflika" est encore présent à la tête du pays et compte s’y maintenir : si de nombreux anciens responsables du régime sont arrêtés et condamnés (plusieurs procès ont débouché sur des peines de prisons allant de 12 à 15 ans pour d’anciens dignitaires), le Hirak est également soumis à une répression de plus en plus dure. Les manifestations, toujours en immense majorité pacifiques servent à arrêter celles et ceux qui sont jugé-es comme des "leaders" du mouvement. Surtout que la rue n’accepte pas la date du 12 décembre et réclame un véritable changement de régime « Le peuple algérien veut passer de l’indépendance post-coloniale à l’indépendance post-dictatoriale ». En effet, tous les candidats à l’élection sont des produits du régime. Ils ont tous été ministre ou préfet sous Bouteflika et représentent pour le peuple la continuité du dictateur.

Le Hirak n’a pour lui aucun candidat. Les raisons en sont multiples, un manque de temps et de moyen pour préparer une élection, aucune unité du mouvement autour de personnalités, en majorité emprisonnées mais surtout un fort sentiment de défiance vis à vis d’une élection qui depuis 20 ans les a maintenu sous la domination d’un seul homme.

Le jeudi 12 décembre a donc lieu l’élection tant décriée. Une taux d’abstention record (plus de 60%) et des manifestations dans tout le pays n’empêchent pas Abdelmajid Tebboune, ancien ministre de Bouteflika issu de l’ENA algérien d’être élu dés le premier tour avec 58% des votes, ce qui correspond en réalité à moins de 25% de la population. Refusé par la majorité de la population avant même d’être connu, ce résultat est cependant confirmé par l’armée.

Dés le lendemain, 43e vendredi de mobilisation successif, les rues sont à nouveau noires de monde pour protester contre ce qui relève d’un total irrespect des volontés populaires. Si dans les grandes villes comme Alger ou Oran le mot d’ordre pacifique continue d’être globalement suivi (malgré les exactions de plus en plus fréquentes de la police), en Kabylie, région souvent la plus rebelle du pays ce n’est plus du tout le cas : Un centre de "vote" a été saccagé, une antenne de l’Anie (Autorité nationale indépendante des élections) a été incendiée et les forces de l’ordre ont du faire face à des manifestants qui tentaient de pénétrer au siège de la wilaya (préfecture) de Tizi-Ouzou, à 90 kilomètres à l’est d’Alger. Des affrontements ont éclaté entre gendarmes et manifestants à Tichy, près de Béjaïa (180 kilomètres à l’est de la capitale), et auraient fait six blessés dans les rangs des forces de l’ordre.

La mascarade démocratique n’a vraisemblablement pas éteint les velléités démocratiques du peuple algérien, mais semble tout de même avoir jeté un froid. Beaucoup d’observateurs craignent que la répression monte d’un cran dans les semaines qui viennent, le pouvoir algérien ayant dans la forme retrouvé une légitimité qu’il n’a en réalité jamais eu. La violence militaire, invisible depuis l’élection de Bouteflika pourrait refleurir dans les rues d’Algérie. Mais dans ces mêmes rues, à Alger, à Oran et dans tout le pays la population a scandé des messages de soutien et de félicitations à la Kabylie…

Le nouveau mot d’ordre du Hirak à l’attention du nouveau président est d’ailleurs sans concession : « ni dialogue, ni consultations, le départ obligatoire » !

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