La vidéo-surveillance à Angers
En France, d’abord, l’histoire de la vidéo-surveillance débute en 1993 dans la commune de Levallois-Perret dirigée (à l’époque et encore aujourd’hui...) par Patrick Balkany. Des arguments sur la prétendue augmentation de la délinquance devaient justifier l’installation des premières caméras dans l’espace public français. Et, à partir de ce moment-là, la climat sécuritaire ambiant sera l’argument principal pour le déploiement de ce dispositif de contrôle. Dans la foulée, des règles sont fixées pour l’utilisation des caméras et des images générées par celles-ci. Ainsi, la CNIL indique que « seules les autorités publiques (les mairies notamment) peuvent filmer la voie publique. Ni les entreprises, ni les établissements publics ne peuvent filmer la voie publique. Ils peuvent seulement filmer les abords immédiats de leurs bâtiments et installations (la façade extérieure par exemple mais pas la rue en tant que telle) dans les lieux susceptibles d’être exposés à des actes de terrorisme. » Concernant les particuliers, « [ils] ne peuvent filmer que l’intérieur de leur propriété. Ils ne peuvent pas filmer la voie publique, y compris pour assurer la sécurité de leur véhicule garé devant leur domicile. » De plus, « la durée de conservation des images ne devrait pas excéder un mois. » [1]
Il faut donc ici faire une distinction importante. Les entreprises et les particuliers peuvent installer des caméras après une demande auprès de la préfecture du département, mais seulement pour surveiller l’intérieur de leur propriété ou les abords immédiats. Toute autre utilisation est techniquement illégale. Lorsqu’on reporte alors le nombre de caméras de vidéo-surveillance dans un département, il faut distinguer ces deux nombres : le nombre de caméras enregistrées dans une préfecture, et le nombre de caméras posées par l’autorité publique. Ainsi, lorsque en 2008 par exemple, on reporte 900 caméras en Anjou, il faut se rendre compte que la grande majorité de ces caméras sont privées et ne peuvent, légalement, pas filmer les espaces publiques.
À Angers, l’histoire de la vidéo-surveillance publique débute pendant le mandat socialiste de 2008-2014. Durant cette période, 28 caméras sont installées par la mairie proche des lignes de bus, du tram et du secteur de la gare. Ces caméras extérieures n’étaient pas surveillées en permanence et servaient principalement à l’élucidation de crimes et de délits en cas d’enquêtes. Les choses changent avec le nouveau gouvernement lorsque, pendant le conseil municipal du 15 décembre 2014, Christophe Béchu impose sa vision sécuritaire et annonce l’installation de 100 caméras de surveillance et la création d’un centre de supervision urbain (CSU) avec une équipe de trois agent-e-s responsables de la surveillance 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Le prix de l’installation : deux millions d’euros, dont un million payé par la ville et un million par la région.
En même temps que ce conseil municipal, se tient le premier rassemblement contre la vidéo-surveillance à Angers. Les arguments contre ce projet sont multiples : l’inefficacité démontré par divers audits, le coût considérable de l’installation et, bien sûr, la critique de la culture sécuritaire. Un peu avant, le site angers.sous-surveillance.net avait été lancé pour permettre aux utilisateurs-rices de recenser les différentes caméras (privées et publiques) présentes dans l’espace publique. Ce site publiera aussi des articles jusqu’en 2017.
L’installation des cent caméras annoncées par Béchu se fera plus lentement que prévu. Ainsi, les cinq premières sont installées, en novembre 2015, sur la place du Ralliement pour surveiller le marché de Noël. Puis, petit à petit, d’autres seront installées. Ainsi, en été 2016, les habitant-e-s du quartier de la Roseraie découvrent que des caméras ont été installées dans la salle des sports collectifs du centre Jean-Vilar. Suite à quoi un deuxième rassemblement contre la vidéo-surveillance, et plus particulièrement contre la stigmatisation des habitant-e-s des quartiers populaires, a lieu le 20 juin 2016. Dans un dernier décompte publique, en septembre 2017, la mairie recense 78 caméras et publie une liste des caméras installées en 2017.
Les politiques d’actions culturelles et associatives, de prévention, de médiation, sur le terrain et dans la durée sont, à coût comparable, bien plus pérennes et porteuses de résultats dans le temps.
En réponse à ce déploiement, une tribune écrite en décembre 2017 et signée par différentes associations demande une évaluation de l’efficacité et la communication du coût complet du dispositif. Cette tribune suggère aussi que « les politiques d’actions culturelles et associatives, de prévention, de médiation, sur le terrain et dans la durée sont, à coût comparable, bien plus pérennes et porteuses de résultats dans le temps ».
En parallèle des rassemblements et de la tribune, des actions directes ont lieu. En juillet 2016, plusieurs dispositifs ont été mis hors-service à coups de marteau dans les quartiers de Monplaisir, Deux-Croix et Belle-Beille. Suite à cet incident, trois jeunes sont interpellés. Puis, en mars 2018, un mât est scié et la caméra qui y était attachée est détruite dans le quartier de Monplaisir.
Pourquoi et comment s’opposer à la vidéo-surveillance ?
Dans les arguments en faveur de la vidéo-surveillance, on peut en isoler deux qui nécessitent une réponse : l’argument pragmatique pour la prévention et l’incrimination lors d’enquêtes et l’argument du « je n’ai rien à cacher ».
Le premier argument est réfuté par des études empiriques. En effet, l’hypothèse que la vidéo-surveillance ne fait que déplacer la criminalité vers des endroits non-surveillés n’a pas été réfuté et permet d’expliquer les observations sur les taux de criminalité. Par exemple, si une baisse de la criminalité est constatée dans la ville d’Angers en 2018, on constate en parallèle une augmentation en dehors de la ville. On pourrait aussi suggérer, comme cela a été fait dans la tribune mentionnée ci-dessus, qu’une vraie politique sociale permettrait, à coût égal, de s’attaquer aux causes de la criminalité et non aux conséquences.
Le second argument est assez facile à réfuter lorsqu’on replace la vidéo-surveillance dans un aspect de contrôle social. D’une part, les lois peuvent changer alors que la technologie reste. Une personne qui n’a aujourd’hui rien à se reprocher et fréquente, par exemple, une association politique peut-être incriminée demain, si le gouvernement décide que cette association devrait être interdite. D’autre part, la vidéo-surveillance peut permettre à un gouvernement de discréditer une personne, en l’associant à d’autres personnes ou en diffusant des informations sur son comportement qui, sans être illégal, est mal perçu par la population. Elle permet par ailleurs un fichage associatif, politique ou syndical.
La vidéo-surveillance peut permettre à un gouvernement de discréditer une personne, en l'associant à d'autres personnes ou en diffusant des informations sur son comportement.
En revanche, les raisons pour s’opposer à la vidéo-surveillance sont nombreuses. Premièrement, ces mesures signalent la transformation de la société vers un état de surveillance constant où la présomption de culpabilité prévaudrait sur celle de l’innocence. Un climat sécuritaire permanent. Deuxièmement, les avancées technologiques récentes en intelligence artificielle devraient inquiéter n’importe qui. Si actuellement l’utilisation des images est (devrait être ?) contrôlée, l’influence de lobbys industriels pourrait mener à une exploitation commerciale de ces images. Par exemple, pour la création de profils de consommateurs-rices ou de profils de santé. Au final, cela se résume à la défense d’une vision du monde où la liberté individuelle devrait primer dans la politique de l’urbanisme publique et contre un projet qui voudrait aseptiser ces espaces.
Comment alors s’opposer à la vidéo-surveillance ? La première manière est l’information et le recensement des dispositifs. Pour cela, il existe déjà le site angers.sous-surveillance.net. Concernant les caméras privées, il est possible aussi d’essayer la voie légale. Les règles de la CNIL fixent un cadre très stricte pour l’utilisation des dispositifs et permettent de porter plainte lorsque un dispositif ne les respecte pas. Un collectif pourrait se saisir de la tâche de recensement des caméras et, en particulier, de dénonciation de celles qui sont illégales. En parallèle, il faut continuer à mettre la pression sur les autorités publiques par des campagnes d’information et des rassemblements. Enfin, concernant l’action directe, nous tenons seulement à mentionner qu’il est possible de mettre des caméras hors-service sans les dégrader (et que ces méthodes s’exposent à des peines plus légères en cas de condamnation).