Analyse et Histoire Antifascisme / Antiracisme

La banderole antisémite du RED n’est pas un point de détail



Publié le 26/05/2023 par Réseau Angevin Antifasciste

Le 4 juillet prochain se tiendra le procès relatif à l’affaire de la banderole brandie par quelques fascistes lors d’un rassemblement à l’initiative du Planning familial et ayant eu lieu le 29 juin 2022 à Angers. Cette action revendiquée par le RED (Rassemblement des Étudiants de Droite) a principalement été médiatisée comme étant anti-IVG (à la fois dans la presse locale et sur les supports de communication d’extrême droite) alors qu’à nos yeux elle est au moins tout autant antisémite. Ce texte vise à montrer en quoi sous-estimer ce second aspect serait une faute politique et donner quelques repères pour mieux décrypter les discours de l’extrême droite radicale.

1) La position que nous défendons

Avant toute chose, nous tenons à éclaircir notre positionnement vis-à-vis du procès en lui-même. Bien que nous n’attendions pas grand-chose de ce genre d’événement, nous estimons qu’ils font partie de l’actualité et qu’il est important d’en parler. Même s’ils ne sont pas de notre initiative, ils deviennent de fait des moments d’expression pour les militants d’extrême droite. Par conséquent, il nous semble impératif d’opposer à cela une parole qui dénonce sérieusement ce que les fascistes choisissent de mettre en avant ou comment ils souhaitaient apparaître. Ce dernier point est particulièrement important lorsqu’ils minimisent ou n’assument pas la portée de leurs actes (ce qui est généralement le cas), quand ils ne tentent pas de carrément dépolitiser leurs actions, espérant ainsi apitoyer les magistrats sur leur sort.

2) Le principal problème que pose ce procès

Les débats qui auront lieu au cours de l’audience devraient logiquement porter à la fois sur la forme de leur action mais également sur le fond. Sur le premier point, inutile de s’étendre longuement sur le sujet : l’extrême droite radicale est agressive et seuls les hypocrites prétendront l’avoir appris à cette occasion. C’est le second point, en revanche, qui nous semble poser souci. De ce que nous avons pu comprendre jusqu’à ce jour, il y a fort à parier que le caractère antisémite de la banderole ne soit pas soulevé et que par conséquent les fascistes n’aient pas à répondre de cette accusation.

Cette situation nous semble scandaleuse. Pour quelle raison ? De tous les messages qu’auraient pu choisir les fascistes pour critiquer le droit à l’IVG, celui qu’ils ont retenu est « Avortement de masse = solution finale ». L’utilisation de cette expression renvoie directement à la « solution finale de la question juive » (« Endlösung der Judenfrage ») relative au plan d’extermination des Juifs et Juives d’Europe au cours de la Seconde Guerre mondiale. Et cette manière de banaliser ces mots doit se lire comme un sous-entendu négationniste, ni plus ni moins. Certes, il est connu que les mouvements anti-IVG comparent régulièrement l’avortement à l’Holocauste depuis les années 1970. Pour autant, le choix des mots est important. Et surtout, il s’inscrit ici dans une longue litanie de discours et postures antisémites propre aux milieux nationalistes de notre pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Tentons maintenant de dresser une chronologie qui permette de saisir à quel point l’usage de cette expression en 2022 résulte de tout sauf du hasard.

3) D’un antisémitisme à l’autre, comprendre la circulation de ces idées

Le 13 septembre 1987, Jean-Marie Le Pen déclare sur RTL que les chambres à gaz sont « un point de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale ». Par la suite, il remet également en cause le nombre de Juifs tués par les nazis. Si cet épisode, assez connu, est souvent présenté comme un dérapage, il représente pour de nombreux nationalistes un acte de bravoure, une manière de défier le « politiquement correct » qui selon eux empêcheraient les antisémites de dire librement tout le mal qu’ils pensent des Juifs en général. Il ne faut donc pas voir ce genre de moment comme un événement exceptionnel mais plutôt comme une démonstration médiatique d’une pensée inscrite dans l’idéologie dont ce genre de personnages sont porteurs. On le sait, Jean-Marie Le Pen est une figure éminemment positive pour l’extrême droite radicale. Symbole de longévité et dans une moindre mesure de radicalité, il représente la non-compromission, notamment face à sa fille. Jean-Eudes Gannat (de l’Alvarium, mais aussi du RED) y fait référence en septembre 2020 sur RCF Anjou en l’appelant affectueusement « le vieux ». Sur les réseaux sociaux, il évoque parfois avec romantisme l’époque où son père était au Front National ou bien encore quand Jean-Marie Le Pen pouvait « sécher un gauche » dans une manifestation. Jean-Marie Le Pen le lui rend bien en recommandant le livre de Jean-Eudes Gannat sorti en 2022.

Nous répondrions que ça serait, là encore, tomber dans leur piège et qu’en ce qui nous concerne, nous prenons au sérieux les discours qui visent à tourner en dérision les génocides. Bien qu’il soit possible qu’il y ait un aspect puéril dans la démarche, il en reste que citer les paroles d’une chanson de Nettoyage Ethnik ne fait pas rire tout le monde. De la même manière, qu’en 1988, quand Jean-Marie Le Pen (encore lui) appelait le ministre Michel Durafour « Monsieur Durafour-crématoire », cela ne faisait pas rire tout le monde. Nous assumons donc d’être le Schtroumpf Grognon de service et de vouloir faire taire ces discours qui, sous couvert de chercher à amuser, visent surtout à blesser et discriminer.

Ces discours cryptiques peuvent s’adresser aux initiés tout en permettant de conserver un certain capital de respectabilité aux yeux du grand public. Entre difficultés à se situer vis-à-vis de la loi et postures élitistes, les discours antisémites de ce type de militants ne sont pas forcément évidents à identifier pour le plus grand nombre. Ils n’en restent pas moins toxiques pour autant. Et cette banderole en est un parfait exemple.

4) Refuser l’antisémitisme partout et tout le temps

Sans doute que le procès ne parlera pas de tout cela. Et c’est bien regrettable puisque cela aurait servi à souligner le plus grand des paradoxes qui réside dans l’acte de ce groupuscule. A savoir que cette action est présentée comme défendant « la vie » mais choisi pour cela d’utiliser une expression faisant directement référence à une entreprise ayant distribué la mort de manière industrielle. Pour nous, c’est bien en soulignant ce paradoxe que l’on peut réellement contrer les postures anti-IVG de ces fascistes. Quant à la question de savoir si cette action avait pour but d’instrumentaliser la mémoire du génocide Juif au profit d’un message anti-IVG ou si c’est précisément l’inverse, chacun pourra se faire librement son opinion. A l’issue de ces quelques réflexions, notre avis sur la question est fait.

Face à une situation aussi paradoxale, qu’attendre de ce procès ? Peut-on réellement parler de « justice » quand on imagine à quel point les « débats » risquent de ne pas saisir ce qui est en jeu ici ? Quel message la décision qui sera rendue peut envoyer aux descendants des victimes de l’Holocauste ? Est-ce qu’ici le problème c’est qu’un militant d’extrême droite se déplace avec une matraque télescopique ou qu’un groupuscule confectionne une banderole contre les droits des femmes minimisant la mort de millions de personnes ? Les personnes refusant de voir ces contradictions sont sans doute motivées par leur attachement à l’institution judiciaire. Pour notre part, en tant qu’antifascistes autonomes, nous n’attendons rien de cette institution car nous considérons que l’antifascisme c’est l’affaire de toutes et tous. Et que pour être efficace, cette lutte ne doit pas être déléguée à quelques spécialistes mais incarnée par le plus grand nombre.

L’antisémitisme de l’extrême droite n’appartient malheureusement pas qu’au passé et il est essentiel de ne pas le minimiser (comme c’est parfois fait même dans certains milieux de gauche). Sans rien attendre de l’État, nous continuerons de dénoncer l’antisémitisme, l’islamophobie et toute forme de racisme, quelle qu’elle soit !

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