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Mobilisation contre les méga-bassines - Récit Militant



Plus de 30 000 personnes présentes pour manifester contre les méga-bassines ce week-end à Saint-Soline. Plus de 200 blessé·e·s et des vies en suspends, les informations nationales inversent le récit et criminalisent les manifestant·e·s pour la protection de l’eau et du vivant. Partage ici d’un récit d’un·e militant·e présent·e ce week-end :

« Je suis encore sonné·e comme une très mauvaise gueule de bois. Pour moi, c’est une défaite. Je n’arrive pas à voir de victoire à travers les évènements du week-end malgré la venue d’environ 23 000 personnes. Je suis en détresse physique et psychique après la manif. C’était impossible pour moi de festoyer et de continuer à risquer les contrôles de keufs. Après quelques crises de larmes, du repos, des crêpes et des câlins de copaines, cela va mieux pour moi. Mais ça n’enlève rien à ce qu’il s’est passé ce week-end dans les Deux-Sèvres.

Samedi vers 11H, nous sommes parti·e·s en différents cortèges jusqu’à la méga-bassine de Sainte-Soline. J’appréhendais ce trajet car à la dernière mobilisation, les attaques de la gendarmerie ont commencé peu de temps après le départ du cortège et il a fallu s’en défendre jusqu’à l’arrivée. Là, ce fut paisible pendant les 6km qui nous séparaient de la bassine. Mais cette tranquilité était un piège.

Pendant le trajet, on apprend que la gendarmerie encercle la bassine telle une forteresse. Nous y attendent deux canons à eau, des chars, des quads, des grillages et des milliers de munitions. L’immense bassine est entourrée d’une masse de fourgons. Entre chaque véhicule des groupes de gendarmes sont prèts à dégainer les armes en notre direction.

Alors qu’au loin se tenait une foule de milliers de personnes, différents blocs étaient en première ligne, suivaient les médics avec les blessé·e·s et le réapprovisionnement de munitions. Il y avait sur nous une pluie de lacrymo, de grenades explosives et assourdissantes. Certaines atterrissaient en explosant à retardement. Les cris d’appel à l’aide "médic, médic" fusaient. Des flics positionné·e·s sur les bordures de la bassine nous tiraient dessus par le haut. Des personnes mutilé·e·s gémissaient. Il fallait les soigner en urgence tout en les protégeant avec des parapluies et des boucliers de fortune.

J’ai vu passer des corps, transportés par les bras de plusieurs militant·e·s, en redoutant de reconnaitre ceux de mes ami·e·s. Le SAMU était bloqué par la police face à une urgence vitale. Et pendant ce temps-là, les flics sur leurs quads passaient derrière les cortèges pour nous canarder.

4000 grenades. Environ 2h d’affrontements. Cela fait une grenade toutes les 2 secondes. C’est terrible à vivre cette seul réponse de l’État à l’expression des revendications du peuple.

La répression policière était horrible, c’est indéniable. Mais on ne peut se contenter de la dénoncer sans se regarder en face et questionner notre organisation.

Pourquoi avons-nous foncé immédiatement dans la forteresse ? Pourquoi n’avons-nous pas attendu pour se checker ? Pourquoi n’avons-nous pas élaboré d’autres startégies préalablement en AG ? Pourquoi n’y avait-il que quelques milliers de personnes proche des bassines et quelques centaines au front alors que "nous étions 23000" ? Pourquoi y avait-il si peu de médic alors que la stratégie était de foncer dans la forteresse et que nous allions forcément avoir une violente répréssion ? Pourquoi occuper la bassine symboliquement au risque d’être mutilé ou de perdre la vie ? Comment rentre-t-on sur une bassine à 23000 ? Ça devrait se discuter ensemble en amont et cela n’a pas été fait, hormis la stratégie de cortèges.

J’ai le sentiment que la stratégie d’infiltration sur la bassine reposait sur le sacrifice du bloc (militants d’autonomie politique qui se confrontent à la police). Cela fait reposer énormément de charge et de représsion sur des personnes envoyées au front comme de la chair à canon et qui ne profitent absolument pas des autres aspects chouettes de la rencontre. Le bloc protège de la police, mais qui protège le bloc ?

Cette mobilisation fut une mine de renseignements pour la police ?

Parlons du contour de la manif. Contrairement aux dernières mobilisations, il n’y avait pas un unique lieu qui rassemblait fête, campings, base arrière, cantines, conférences. Tous ces espaces étaient à différents endroits dans la ville de Melle, et notamment dans des espaces publics. De fait, les flics ont bien plus eu la possibilité de contrôler que les fois précédentes. Dès mercredi jusqu’à la fin du week-end, il y avait des contrôles partout, du matin au soir. Devant les différents campings de Melle. Sur les ronds-points d’accès, il y avait des relevés d’identité pour du fichage, des fouilles, des chiens qui reniflent les sacs et les corps pour repérer de la drogue ou des explosifs. Les flics prenaient en photos les affaires des gens pour les associer à leur identité.

Le départ en manif a eu lieu depuis un camp éphémère et sa création constituait en soit une action pour le monter sans se faire stopper par la gendarmerie. Il fallait y arriver le vendredi matin sans se faire repérer par les flics, le monter la journée, y revenir, ranger les affaires, puis repartir à Melle. C’était donc un changement de lieu tous les soirs, du mercredi au dimanche, avec le matos de camping à plier/ déplier et les contrôles de keufs à éviter. A cela, il faut rajouter des rafales de vent à plus de 60km/h. Des torrents de pluie et de boues.

C’était une logistique intense et des conditions matérielles qui furent épuisantes. Ce fut pour beaucoup une situation de surmenage qui laisse des traces dans les collectifs militants et qui ne sont pas propices à une manif d’une telle intensité.

Comment profiter de la fête, des concerts, des rencontres militantes, de la cantine, de la base arrières qui avaient lieu à Melle dans ces conditions ? C’était pour moi intenable alors même que ce type de mobilisation est un espace précieux pour tisser des liens, partager de la joie, de la fête, du repos, du soin.

Pour une mobilisation d’une telle ampleur avec une volonté de confrontation policière assumée, il faut du temps ! Par exemple, une semaine de camp qui précède l’action avec des ateliers de déplacement collectifs, d’auto-défense, de médic, de stratégies, de lobbying citoyen, de véritables assemblées générales pour partager le pouvoir. Je ne peux m’empêcher de penser au camp antinuk des Rayonnantes à l’été 2021 qui offrait cela.

Après la manif, plusieurs personnes ont retrouvé leurs bagnoles défoncées par des pro-bassines. Pneus crevés et vitres cassées. Alors que des personnes sont à l’infirmerie, d’autres vident à proximité leurs munitions avec des détonations d’explosions. Rien de mieux pour renforcer les traumas. Des copaines sont en pleurs. Les corps sont traumatisés, engourdis, crispés. Il faut attendre 20h pour repartir en laissant d’abord les blessés se fairre évacuer, puis plier les tentes et retourner sur Melle. Les keufs bloquent les miliers de voitures. Il a fallu 3h pour rejoindre Melle.

le coeur pour moi n’était absolument plus à la fête. C’était insupportable d’entendre des discours appelant à renforcer la mobilisation et festoyer alors même qu’un camarade est entre la vie et la mort à l’hopital, qu’il y a des centaines de blessés et tant d’autocritique à faire.

En conclusion...

Les Soulêvement de la terre ont fait et font un travail immense et j’admire cet élan indispensable pour nos luttes écologistes. Ce week-end montre que désormais la mobilisation autour des méga-bassines dépasse les Soulèvement de la Terre et il s’agit de décider plus largement de quelles organisations, quelles revendications, quels objectifs, quelles stratégies on porte.

C’est une responsabilité collective que différents groupes militants puissent s’associer aux Soulèvements de la Terre pour faire jaillir d’autres formes d’actions et d’organisations. J’espère donc que différents groupes militants vont oser se saisir de cette lutte et que les Soulèvement de la Terre sont prêts à s’ouvrir pour se transformer sur le sujet des méga-bassines.

Je nous souhaite de panser nos plaies et se créer ensemble des conditions de luttes dignes pour ne plus s’auto-saboter et compter nos victoires plus que nos blessé·e·s. »

Au pays des alternatives

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