Une petite centaine de personnes se sont finalement réunies devant la Grande Ourse. Le temps de boire un café et le départ est lancé par la batukada. Toutes et tous habillé·es de rose, les percussionistes ouvrent gaiement la marche. Dès que le pont est passé, la flicaille encadre le petit cortège. Trois camionettes et une voiture rien que pour nous, la pref nous a gâtés ! Les flics, reconnaissant certaines personnes, se permettent des mises en garde inutiles et certaines remarques stupides sur leur physique. Ils ne changent décidément pas... La manif traverse alors le centre ville animée par des chants, préparés à la hâte le matin même (et ça se voit), des tambours ou des slogans sur le droit au logement. Malgré notre nombre réduit, on fait du bruit et les passants nous regardent avec curiosité. Les nombreuses banderoles attirent alors leurs regards. On peut y lire : “- de bourgeois, + de toits” ; “nik son maire les expulsions” ou encore “c’est pas la trêve hivernale qu’on veut, c’est la trêve tout court”.
Le centre ville est vite dépassé, on arrive devant le tribunal avec une petite heure d’avance. Le boulevard est alors bloqué et les crêpes arrivent. On s’installe tranquillement pour un goûter sympathique sur le bitume et sous le regard des flics. Arrive 16h, la quasi totalité de la manif est encore en train de manger. Les “représentants” des habitant·es, seul·es autorisé·es à entrer (covid oblige), rejoignent la salle d’audience alors que le boulevard est toujours bloqué et les banderoles attachées aux grilles du tribunal.
Dans la salle, l’ambiance n’est plus la même. Le juge insiste à deux reprises pour que les débats se passent dans le calme. L’avocate du propriétaire commence par un réquisitoire bien huilé. Elle déplore dans un premier temps la présence de si nombreux·ses SDF dans les rues d’Angers, pointant du doigt le fait que son client n’a pas à en payer les conséquences (comme si les grands bourgeois n’étaient pas responsables, du moins en partie, de la pauvreté). Puis elle confronte comme d’habitude le droit au logement à celui de la propriété privée, en insistant bien sur le fait que celle-ci a toujours prévalue dans le droit français. La constitution définit en effet le logement de tous-tes comme un objectif à atteindre et non comme un droit. Elle demande donc qu’il ne soit pas évoqué car “il ne s’agit pas de la question”. S’ensuivent plusieurs mensonges clairs : elle accuse les habitant·es du bâtiment de propos injurieux envers son client (inventés de toute pièce), puis elle parle d’une soi-disant banderole qui aurait été affichée et sur laquelle aurait été écrit “nous ne partirons pas tant que nous ne serons pas expulsé·es” (c’est bien entendu le cas, mais la banderole est une nouvelle invention). Elle parle ensuite d’un bâtiment insalubre, sans sanitaires (il y a cinq toilettes et deux douches chaudes à la Grande Ourse) et de fils éléctriques dénudés qui “pendent partout”. Personne ne sait où elle les a vus. On espère bien qu’un tel tissu de mensonges sans l’once d’une preuve sera écarté par le juge à la lecture du dossier…
Selon elle toujours, les habitant·es du squat ne seraient “pas en situation de vulnérabilité”, puisqu’il ne s’agirait que d’hommes seuls. Outre le fait que des femmes et des enfants vivent à la Grande Ourse, être un homme seul à la rue, sans aucune ressource et, pour certains, ne parlant pas la langue ne serait pas une situation de vulnérabilité... Heureusement qu’il existe des tribunaux pour entendre de telles absurdités. Elle évoque aussi la crise sanitaire, parlant d’un lieu “sans la moindre mesure d’hygiène” et potentiel vecteur de diffusion du virus. Puis elle termine en demandant la suppression de tout délai avant l’expulsion, prétextant que le permis de démolition a été octroyé et que les travaux doivent bientôt débuter. Ce permis ne concerne que la toiture du bâtiment et une façade étant classée au patrimoine historique, l’obtention du permis total n’est pas pour demain. Elle s’appuie également sur la pseudo existence d’une voie de fait (effraction), à nouveau sans preuve, pour demander l’expulsion immédiate.
Maîte Mahlaoui, avocat des occupant·es du bâtiment mais aussi soutien du collectif, lui répond point par point. N’évoquant pas le droit au logement, il se permet par contre d’insister sur le travail réalisé par les membres du collectif pour venir en aide aux plus démuni·es (freepicerie, maraudes, ateliers divers, etc.) et va jusqu’à dire que “s’il avait leur âge et leur courage, il ferait la même chose”. Sans revenir sur les mensonges de la partie adverse, il prouve la bonne foi des occupant·es en présentant au juge la convention d’occupation précaire qui avait été négociée avec le propriétaire et était prête à être signée fin janvier. La rupture unilatérale des négociations suivie de de la convocation au tribunal étant de son fait, il ne peut taxer le collectif de mauvaise volonté. Il rapelle également le rapport d’huissier, faisant acte de la présence de femmes et d’enfants dans le bâtiment et ne présentant aucune effraction. Les situations des habitant·es prouvant leur situation de grande précarité, et donc de vulnérabilité, parlent d’elles-mêmes : plus de 30 pièces dans le dossier ! Concernant le virus et la situation actuelle, il pose la question à la cour : “vaut-il mieux des dizaines de personnes à la rue plutôt qu’un squat pour endiguer la propagation du covid ?” Il finit en demandant à la cour de faire preuve de bienveillance pour les habitants et habitantes qui risquent de passer l’hiver à la rue.
Le juge en charge de l’affaire est nouveau à Angers. Commencer par une affaire médiatisée comme celle-là, imbriquée dans des questions politiques et sociales n’est pas une mince affaire. Face à cela et à deux dossier volumineux à examiner, il commence par donner le 30 octobre (deux jours avant la trêve hivernale !) pour date du délibéré. L’avocate du proprio insistant pour avancer la date, il finit par la ramener au 16 octobre. L’obtention de la trêve semble de plus en plus proche !
Après un compte rendu oral et une ovation à notre avocat, la manifestation prend cette fois la route de la préfecture pour y rester une petite heure entre musique et prises de paroles avant de rentrer à la Grande Ourse. Malgré une faible affluence, ce fut un bel après-midi de rentrée.