Le 19 novembre 2018, Edouard Philippe annonce l’augmentation des frais d’inscriptions des étranger-es lors des rencontres universitaires de la francophonie. Le gouvernement choisit le titre de « Bienvenue en France » pour cette belle faveur à la francophonie. Le but annoncé de la manœuvre est d’augmenter (sic) le nombre d’étudiants étrangers en France par le signal statutaire du prix, i.e. en donnant l’impression que le prix élevé reflète une qualité supérieure ! Bien que le statut légal de cette augmentation ne soit pas clair (y-a-t-il une loi passée au sénat, sera-t-elle imposée par ordonnance ?) le site d’état CampusFrance.org affiche déjà les nouveaux frais d’inscriptions.
De fait, donc, dès la rentrée universitaire de septembre 2019, les frais d’inscription pour les étudiant-es étranger-es passeront de 170 à 2770 euros en licence, c’est-à-dire une augmentation d’environ 1530 %, et de 243 (respectivement 380) à 3770 euros pour le master (respectivement le doctorat). Cette décision affecte considérablement l’Université d’Angers où 10 % des étudiant-es sont étranger-es. Un chiffre qui monte à 20 % pour l’école d’ingénieurs ISTIA.
Bien que la raison affichée par le gouvernement soit l’augmentation du nombre d’étudiants, on peut facilement deviner leurs véritables motivations. Ainsi, pendant son discours Edouard Philipe annonce aussi « Un étudiant étranger fortuné qui vient en France paye le même montant qu’un étudiant peu fortuné dont les parents résident, travaillent et payent des impôts en France depuis des années. C’est injuste. » Une citation qui rappelle celle de Marine Le Pen quelques années auparavant. On imagine que l’aspect électoraliste de la mesure n’aura pas échappé à un parti qui aspire toujours à récupérer des voix en pratiquant une politique discriminatoire d’immigration choisie. À noter aussi que cet argument du « coût » de la formation des étudiant-es étranger-es est faux, puisque celui-ci est très largement compensé par leurs dépenses en France.
Au delà de cet aspect xénophobe, cette mesure est liée à une vision néolibérale qui veut faire passer l’Université d’un financement publique par l’impôt à un financement privé par la dette étudiante et pas seulement pour les étudiant-es étranger-es. En effet, partout où les frais d’inscription ont augmenté pour les étudiant-es étranger-es la mesure a été généralisée aux autres étudiant-es.
Quel serait le but de cette augmentation ?
D’une part, limiter l’accès aux études et continuer le processus de sélection sociale déjà entamé avec la loi ORE (ParcourSup) et, d’autre part, donner une nouvelle source de bénéfices pour les créanciers. Ces dettes peuvent engendrer une bulle financière plus importante encore que celle des « subprimes » comme c’est déjà le cas au Royaume-Uni. Une bulle qui pousse même le gouvernement de Theresa May à considérer la baisse des frais d’inscription.
Finalement cette mesure est néfaste pour la recherche puisqu’elle décourage les doctorant-es à venir étudier en France.
La hausse est donc fortement critiquée dans les milieux scientifiques et universitaires, 17 universités s’y opposent.
À Angers la mobilisation a commencé lors d’une réunion d’information, le 11 décembre 2018, qui a réuni une centaine de personnes dont une majorité d’étudiant-es étranger-es. Lors de cette réunion, qui s’est transformée en assemblée, il a été décidé de saisir le conseil d’administration pour voter une motion qui demanderait le retrait de l’augmentation des frais, à l’image de l’Université Rennes-II. Cette motion est acceptée lors du conseil le 13 décembre avec la garantie supplémentaire que, si la décision est maintenue, les étudiant-es étranger-es déjà inscrit-es seraient exonéré-es et l’université « étudiera toutes les solutions possibles d’exonération » pour les autres. Bien que la première mesure soit louable la deuxième inquiète par sa formulation vague, il a ainsi été mentionné que la mesure envisagée est le paiement des frais d’inscription majorés par les bourses de l’université. Le problème étant que le nombre de bourses qui peuvent être payées par l’université est limité et que cette mesure ne remet pas en question l’augmentation elle-même.
En réponse à ces voix dissidentes, la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal explique que les fonctionnaires des universités ont « le devoir d’obéissance et le devoir de loyauté ». Les universitaires seraient donc autonomes seulement lorsque cela arrange le gouvernement, autrement dit : quand cela coûte de l’argent.
La lutte continue donc en 2019 avec deux réunions d’information, les 28 et 29 janvier, qui rassemblent une quarantaine de personnes chacune dont, à nouveau, une majorité d’étudiant-es étranger-es. L’un d’eux évoque la situation dans son pays, où le gouvernement français promettait un accès aux études pour les étudiant-es africain-es en échange d’avantages sur l’acquisition de ressources premières. De nouveau, la réunion se transforme en assemblée et il est décidé de participer à la manifestation syndicats-Gilets Jaunes du 5 février derrière une bannière dénonçant la hausse des frais. Il est aussi décidé de demander la banalisation des cours et des examens du 5 février (ce qui les rendrait facultatifs). Le président de l’université Christian Roblédo refuse et empêche de fait les étudiant-es étranger-es de participer à la mobilisation.
Après le passage en force de la sélection à l’université en 2018, le gouvernement continue donc l’attaque sur l’enseignement supérieur en ignorant les appels des universitaires et des milieux scientifiques, tout cela dans un contexte politique extrêmement tendu. Si le gouvernement refuse d’entendre les voix dissidentes au sein de l’université elles devront prendre forme par l’action, comme c’est déjà le cas dans d’autres facultés, afin que le message « l’Université d’Angers accueillera tous les étudiant-e-s qui le souhaitent, comme elle l’a toujours fait jusqu’à présent » [1] ne devienne pas un épitaphe.