Analyse et Histoire Antisexisme / Féminisme

Portrait de femmes #2 - Vincennes et le MLF (Mouvement de Libération des Femmes)



Dans ce deuxième article de la série « portrait de femmes » nous vous invitons à la découverte des premières actions du Mouvement de libération des femmes, apparu suite aux événements de Mai 68 et à l’ouverture de l’université de Vincennes.
Portrait de quelques femmes qui ont lancé et construit ce mouvement : Antoinette Fouque, Hélène Cixous, Monique Wittig, Josiane Chanel, Suzanne Fenn, Christiane Dufrancatel ou encore Michelle Perrot et Madeleine Rebérioux.

Pour écrire l’histoire des femmes, il faut parfois savoir sortir du leader conventionnel imposé et reconnaître la participation concrète de toute les femmes présentes de près ou de loin dans ces mouvements historiques qui ont transformé l’histoire des femmes !

“ L’idée que les femmes n’ont pas de passé, n’ont pas d’histoire, signifiait bien sûr qu’elles en avaient une mais qu’elle était enfouie, cachée, masquée, et que le travail des féministes était de la retrouver et de la faire connaître. Ce travail d’archéologie, de redécouverte, de réappropriation se poursuit et il est fondamental. Cependant, en inversant le sens de la phrase, en affirmant que nous avons un passé, une histoire, je suggère une autre approche de l’écriture de l’histoire. J’interroge le sens donné à « passé » et à « histoire » dans la phrase de l’hymne du MLF : « Nous qui sommes sans passé, les femmes/ Nous qui n’avons pas d’histoire. » ” [1]

Vincennes un genre nouveau

Ouverte suite au mouvement de mai 1968 l’université de Vincennes, projet expérimental, est créée pour la diffusion du savoir nouveau et pour un libre accès, elle est basée sur un style américain et est totalement innovatrice pour l’époque. Construite en 3 mois dans le bois de Vincennes en périphérie de Paris, cette université avait pour objectif d’accueillir 8000 étudiant·e·s, « C’était une révolution festive, jeune, poétique, sans prise de pouvoir […] la volonté de chasser ceux qui pétrifiaient l’esprit, et ça s’est fait » témoigne Hélène Cixous, à la tête de ce projet. Elle a alors 31 ans et est professeur en université. Ces immenses pré-fabriqués ouvrent leurs portes en janvier 1969, le site est alors immense, perdu dans la forêt avec ses nombreux bâtiments et espaces extérieurs. L’attractivité de cet accès au savoir et à l’apprentissage pour tous les étudiant·es, bacheliers ou non, bachelières ou non, ouvriers, ouvrières, parents et sans-papiers, fera venir jusqu’à 32 000 étudiant·es en 1976. La présence d’une garderie et d’une école maternelle pour garder les enfants des employé·es, enseignant·es et étudiant·es de l’école fut une innovation de l’époque qui, comme les cours du soir, a permis à des populations défavorisées d’accéder au savoir de l’université. Le site n’ayant pas été conçu pour accueillir autant d’étudiant·es, l’infrastructure tombe très vite en morceaux, les cours se feront dehors, et même dans les rues. « Ca a été populaire. On était surpeuplés mais c’était le signe de la nécessité de la justesse du geste créant cette université » Le gouvernement de l’époque n’avait pas prévu cet engouement de la jeunesse et fera en sorte de détruire le plus possible ce lieu de lutte et de révolte. Les budgets baissent toujours plus, le gouvernement demande des élections pour élire un bureau et une direction administrative. Cela fera naître de grands débats entre la fermeture de l’école sans ces élections et des étudiant·es contre l’idée d’une hiérarchie pyramidale qui jusqu’ici n’avait pas été nécessaire pour que Vincennes soit une réussite. Les élections ont été sabotées avec la complicité des professeurs.

Hélène Cixous

« Mai 68 commence longtemps avant, 68 devient la maturité du mouvement contre les enseignements de la Sorbonne tellement en retard et qui sont une insulte permanente aux savoirs. » 

Nés le 5 juin 1937 à Oran, Hélène Cixous est Agrégée d’anglais en 1959, docteur d’Etat en 1968, elle enseignera jusqu’en 2005 à Paris 8, Université de Vincennes. Depuis 1967 elle a publié plus d’une soixantaine de fictions et d’essais (en littérature, philosophie, psychanalise et arts). En 1974 elle institue le premier doctorat en Etudes Féminines en créant le centre d’étude féminine et d’étude du genre. Une belle réponse au mouvement de libération des femmes qui a développé cette recherche du corps et qui a défendu la libération du corps et des genres sexuels. Son premier roman en 1969 obtient le prix Médicis, en 1975 elle écrit "Le Rire de la Méduse". « 1968 […] C’est une époque où les filles n’avaient pas la parole ». (témoignage extrait d’une vidéo )

Le Mouvement de Libération des Femmes et Vincennes.

En parallèle le mouvements du MLF se crée peu à peu, les premières réunions de femmes se font en octobre 1968 suite aux luttes de mai 68. Le Mouvement de Libération des Femmes c’est à la fois une fusion avec les autres luttes anticolonialistes et anti-impérialistes (avec les guerres d’Algérie et du Vietnam), et la révolte étudiante qui débute à Paris le 22 mars 1968 à l’Université de Nanterre, puis le mouvement gagnera la Sorbonne. Très vite les questions d’indépendance, de non-mixité, d’homosexualité et de libération du corps sont des sujets mis sur la table. Une contestation de la société répressive est développé par des revendications de libération sexuelle, anti-autoritaire et libertaire, qu’exprime toute une jeunesse étudiante dans cette volonté de changement.

Ce mouvement a transformé l’histoire des femmes, peu savent que l’ensemble des lois d’égalité des femmes comme la suppression en 1970 de la notion de « puissance paternelle », la loi d’égalité salariale entre les hommes et les femmes du 22 décembre 1972 ou encore l’autorisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) en 1974, sont l’aboutissement de luttes acharnées, de manifestations et de combats publics poussés et construits par le MLF.

C’était au début de petites réunions en privé pour la compréhension de soi et de son corps, des réunions de discussions et d’échanges sur les oppressions quotidiennes que subissent les femmes et tous les tabous autour de l’homosexualité qui sont abordés. Mais très vite il y a cette nécessite à agir publiquement, ces temps de parole sont nécessaires mais insuffisants. Des échos dans d’autre pays de femmes qui manifestent publiquement entre elles donnent naissance à la première manifestation et Assemblé Générale Non-mixte du MLF en 1970. Le sigle américain de la lutte féministe est imprimé à l’atelier de reprographie de Vincennes. Au début elles tournent autour du bassin central dans la faculté de Vincennes puis décident, pour combattre les insultes qui fusent déjà autour d’elles, de prendre un Amphi et appellent à la non-mixité. Cela prendra plus d’une heure pour réussir à faire sortir les hommes de la salle. « C’est à nous de discuter de ce que nous voulons après 68 ! » scandera Suzanne Fenn.

Christiane Dufrancatel qui a rejoint le département de sociologie à l’ouverture de Vincennes en 1969 témoigne : « L’université de Vincennes était globalement en avance du point de vue des femmes [...] le milieu politique, activiste, ne mettait cependant pas les problèmes des femmes en avant. [...] avant le meeting de mai 1970 Antoinette Fouque et d’autre avaient demandé une salle, elle voulaient comme beaucoup d’autre association avoir un lieu de permanence, être dans l’université, mais cela leur avait été refusé.  » Elles rentreront dans les réunions de bureaux où grand nombre de professeurs présents les insulteront. C’est suite à la prise de l’Amphi par les manifestantes, qu’elles réussiront à garder, qu’à lieu la création d’une UV (Unité de Valeur, cours universitaire) deux fois par semaine avec des enseignant·es de Paris 7 et de Vincennes.

« Ces débuts sont occultés parce que les femmes qui se sont fait connaître par leurs productions intellectuelles dans ce domaine à la fin des années 70 appartenaient à d’autres institutions et qu’elles ont fait la même chose que dans l’histoire des mouvements politiques : se poser en pionnières ; il ne s’est rien passé avant, c’est la nouvelle naissance. L’enseignement de Vincennes – Paris 8 supposait évidemment une implication personnelle des femmes qui enseignaient à propos des femmes. C’était l’époque où il y avait un besoin d’histoire, de recherches sur l’histoire des femmes en France, car le Mouvement faisait apparaître que celle-ci avait été complètement négligée. Un certain nombre d’entre nous ont entrepris des recherches historiques, puis Michelle Perrot est arrivée, brillante, avec une bonne surface socio-intellectuelle, et elle est apparue comme le leader des recherches historiques sur les femmes. À Vincennes, il y avait Madeleine Rebérioux. Elle acceptait de faire un enseignement sur les femmes, mais se déclarait « pas féministe ». Ce qui s’est passé dans cette Université, qui était d’une importance historique, a été souvent censuré dans ce qui s’est écrit ensuite. Le monde intellectuel est un monde d’autocongratulation. Il faut être là auprès des médias. Si on n’apparaît pas, on passe facilement à la trappe. (…) »
Christiane Dufrancatel

L’université de Vincennes finira par être délocalisée en 1980 à St Denis. Comment mieux détruire ce symbole d’émancipation du savoir, de liberté, qu’était le « gheto gauchiste » ? Il a été entièrement rasé et enterré, pas même une pancarte n’est présente en mémoire de ce lieu marqueur d’une nouvelle façon de penser et de vivre.

« Ni les communardes, ni les femmes avant nous ne sont des hystériques ! Si on crie c’est parce que nous sommes opprimées ! Nous avons toutes les raisons de crier contre le capital, la famille et les hommes qui nous oppriment ! »
Antoinette Fouque

Notes

[1éditions La fabrique - « un féminisme décolonial » de Françoise Vergès

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